Lutte contre la traite des êtres humains

La traite des êtres humains est considérée comme l'une des atteintes les plus insupportables aux droits de l'homme. D'après les statistiques de l'ONU et du Conseil de l'Europe, la traite des êtres humains génère environ 32 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel et constitue la troisième forme de trafic la plus répandue au monde, après le trafic de drogues et le trafic d'armes. Chaque année, environ 2,5 millions de personnes, essentiellement des femmes et des enfants, sont sous l'emprise de trafiquants.

Le Luxembourg n'est pas à l'abri de ce phénomène et de ce fait, les autorités luxembourgeoises se sont dotées assez tôt de tout un arsenal de lois et mesures afin de prévenir et combattre ce fléau des temps modernes.

L'approche est pluridisciplinaire tel que recommandée par les organisations internationales et régionales (UNO, EU, OSCE, CONSEIL DE L'EUROPE, BENELUX).

I. L'évolution de la législation en matière de traite des êtres humains

Parmi les principaux instruments internationaux en matière de la lutte contre la traite des êtres humains, le Luxembourg a ratifié la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains¹, la Convention des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui en 1983, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée en 2008², le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ("Protocole de Palerme")³ en 2009.

En tant qu'État membre de l'Union européenne (UE), le Luxembourg est lié par la législation de l'UE en matière de lutte contre la traite et en particulier par la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil de l'UE (le Conseil) du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, la directive 2004/81/CE du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes, la directive 2004/80/CE relative à l'indemnisation des victimes de la criminalité, la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, et la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales.

S'agissant du cadre juridique national de la lutte contre la traite, une incrimination de la traite a été introduite dans le code pénal, en son article 382-1, par la loi du 31 mai 1999 visant à renforcer les mesures contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants, complétée par:

  • La loi du 13 mars 2009 relative à la traite des êtres humains qui met en œuvre les dispositions pénales prévues dans les trois instruments susvisés et introduit une adaptation de la définition de la traite des êtres humains, la détermination des circonstances aggravantes et le taux des sanctions.
  • La loi du 9 avril 2014 renforçant le droit des victimes de la traite des êtres humains, laquelle porte en outre transposition de la directive de l'UE 2011/36 susvisée et qui introduit l'infraction de mendicité forcée comme nouvelle forme de traite.

D'autres dispositions légales et règlementaires, comme la loi modifiée du 8 mai 2009 sur l'assistance, la protection et la sécurité des victimes de la traite des êtres humains, le règlement grand-ducal du 10 mars 2014 relatif à la composition, à l'organisation et au fonctionnement du Comité de suivi de la lutte contre la traite des êtres humains et le règlement grand-ducal du 11 septembre 2014 déterminent les conditions d'exercice des activités et prestations des services d'assistance aux victimes de la traite, la collaboration avec la police en la matière ou bien encore la création du Comité de suivi et de lutte contre la traite des êtres humains.

Au final, la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration concède pour sa part une période de réflexion et de rétablissement, ainsi que l'octroi d'un titre de séjour, aux victimes de la traite.

II. L'infraction de "traite des êtres humains" et ses différentes caractéristiques

En droit luxembourgeois, la définition telle qu'elle figure à l'article 382-1 du code pénal, dans le chapitre VI-I intitulé "De la traite des êtres humains", est la suivante : "(1) Constitue l'infraction de traite des êtres humains le fait de recruter, de transporter, de transférer, d'héberger, d'accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle sur elle, en vue:

1) de la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles;

2) de l'exploitation du travail ou des services de cette personne sous la forme de travail ou de services forcés ou obligatoires, de servitude, d'esclavage ou de pratiques analogues et en général dans des conditions contraires à la dignité humaine;

3) de la livrer à la mendicité, d'exploiter sa mendicité ou de la mettre à la disposition d'un mendiant afin qu'il s'en serve pour susciter la commisération publique;

4) du prélèvement d'organes ou de tissus en violation de la législation en la matière;

5) de faire commettre par cette personne un crime ou un délit, contre son gré.

(2) L'infraction prévue au paragraphe 1er est punie d'une peine d'emprisonnement de trois ans à cinq ans et d'une amende de 10.000 à 50.000 euros.

(3) La tentative de commettre l'infraction visée au paragraphe 1er est punie d'une peine d'emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de 5.000 à 10.000 euros.

(4) Constitue l'infraction de vente d'enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un enfant est remis par toute personne ou tout groupe de personnes à une autre personne ou groupe des personnes contre rémunération ou tout autre avantage.

Les peines prévues à l'article 382-2 (2) s'appliquent."

Il y a lieu de différencier la traite des êtres humains du trafic illicite de migrants, qui est fondé sur le transport des victimes concernées, alors que la traite est basée sur l'exploitation de la victime.

Une victime de la traite n'est pas forcément transportée d'un pays à l'autre, il est tout à fait possible de retrouver des victimes "résidentes", tant qu'une des autres conditions énumérées (recrutement, hébergement…) est remplie

Le champ d'application de l'infraction de traite des êtres humains est très vaste.

Les formes les plus communes de la traite des êtres humains sont:

  • La traite à des fins d'exploitation sexuelle
  • La traite à des fins d'exploitation de la mendicité et de l'obligation de commettre des délits
  • La traite à des fins d'exploitation par le travail
  • L'enfant victime de la traite ou la vente d'enfants

L'exploitation à des fins sexuelles et de main d'œuvre sont les plus courantes.

L'infraction est punie d'une peine d'emprisonnement de 3 à 10 ans et d'une amende qui peut s'élever à 100.000 euros.

La définition de la traite des êtres humains comporte trois composantes:

  • l'action (le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, le fait de passer ou transférer le contrôle sur une personne) ;
  • l'utilisation d’un certain moyen la menace de recours ou le recours à la force ou autre forme de contrainte, l'enlèvement, la fraude, tromperie, l'abus d'autorité, les personnes en situation de vulnérabilité, l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre) ;
  • le but de l'exploitation (l'exploitation par la prostitution d'autrui ou toute autre forme d'exploitation sexuelle, les travaux ou services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes).

Il est intéressant à noter qu'en droit luxembourgeois, les moyens constituent des circonstances aggravantes (article 382-2 du code pénal). Elles tiennent compte de l'abus envers des personnes particulièrement vulnérables, en raison de leur situation administrative illégale ou précaire, de leur situation sociale précaire, d'un état de grossesse, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou mentale. S'ajoutent à cela, la menace de recours ou le recours à la force ou toute autre forme de contrainte, l'enlèvement, la fraude ou la tromperie, l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur la victime, ou le fait que l'infraction ait été commise par un ascendant de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle ou abusant de l'autorité que lui confère sa fonction.

L'article 382-2 du code pénal prévoit que le consentement de la victime n'exonère pas l'auteur et le complice de la responsabilité pénale en cas d'infraction ou de tentative d'infraction de traite et ne peut pas non plus constituer une circonstance atténuante.

L'arsenal législatif luxembourgeois constitue qu'un élément parmi d'autres dans la lutte contre la traite qui se caractérise notamment par une approche pluridisciplinaire.

III. La mise en place d'un "Comité de suivi de la lutte contre la traite des êtres humains"

La politique de lutte contre la traite des êtres humains est transversale et a permis la mise en place d'un Comité de suivi de la lutte contre la traite des êtres humains, institué par la loi précitée du 8 mai 2009. Ce comité interministériel, présidé par le Ministère de la Justice, est chargé de la coordination des activités de prévention et de l'évaluation de la traite.

Le Comité interministériel est composé par des représentants du Ministre de la Justice, du Ministre de l'Egalité entre les femmes et les hommes, du Ministre ayant l'Enfance et la Jeunesse dans ses attributions,, du Ministre de la Santé, du Ministre ayant la Police dans ses attributions, du Ministre de l'Immigration, du Ministre du Travail, du Ministre des Classes moyennes, de l'Inspection du travail et des mines, de l'ONA (Office National de l'accueil), de chaque Parquet, de la Police grand-ducale, de deux représentants des services d'assistance aux victimes de la traite des êtres humains agréés et d'un représentant du Service d'Aide aux Victimes du SCAS.

Des représentants de la Commission Consultative des Droits de l'Homme, dans leur mission de rapporteur national, peuvent participer aux réunions du Comité.

Faisant suite à l'accord de coalition du Gouvernement 2018-2023, le "Comité de suivi de lutte contre la traite des êtres humains", présidé par le ministère de la Justice, s'engage dans la lutte contre la traite des êtres humains sous toutes ses formes (prostitution, travail forcé...) et compte renforcer les efforts nationaux et internationaux afin de combattre ce fléau.

Quant aux mesures prises au niveau du prédit comité, on peut citer les mesures de sensibilisation et d'information suivantes:

a) Campagne "stoptraite" et campagne EUCPN

En octobre 2019, le Luxembourg, ensemble avec 23 autres pays européens, a rejoint l'initiative de l'EUCPN (European Crime Prevention Network) pour lancer une campagne de prévention contre la traite des êtres humains qui a pour objectif d'informer les victimes ou victimes potentielles sur leurs droits au niveau européen, où trouver de l'aide, de la protection et de l'information.

La campagne cible les victimes et victimes potentielles. À travers une campagne d'affichage et sur les réseaux sociaux, le message est diffusé en plusieurs langues et à des endroits très précis (gares, arrêts de bus, services d'assistance et d'accueil etc.) afin d'atteindre directement les populations vulnérables.

La campagne de prévention, financée par le Fonds de sécurité intérieure de l'Union européenne, a été lancée le 17 octobre 2019, afin d'informer les victimes qu'elles possèdent des droits qu'elles peuvent réclamer dans tous les pays membres de l'Union européenne: assistance et protection, droits de l'Homme, droits du travail, droit de se voir accorder un délai de réflexion et un titre de séjour.

Il y a lieu de mentionner que la diffusion se fait aussi via le compte facebook et le site "stoptraite.lu", créés lors de la première campagne de sensibilisation à destination du grand public. De telle manière cette campagne est également pérennisée.

b) Brochures

L'élaboration d'une brochure à destination des victimes potentielles est en cours. Elle contient des informations en plusieurs langues (dont l'arabe, le chinois, l'albanais etc.) et des pictogrammes, elle sera distribuée largement.

Une brochure à destination du grand public afin de sensibiliser au sujet de la traite des êtres humains a déjà été réalisée (Pdf, 4,16 MB).

c) Formations

Concernant les formations, depuis 2016, l'Institut de l'administration publique (INAP) propose une formation de base en matière de traite des êtres humains qui est accessible à tout fonctionnaire et employé de l'Etat. La formation s'adresse à tout agent intéressé et concerné par la matière ainsi qu'aux acteurs sociaux des ONG. L'objectif principal de ladite formation de base consiste à informer et sensibiliser le public cible au fléau de la traite et aux moyens de détecter des victimes de la traite. Les cours sont dispensés par un représentant du ministère de la Justice, un représentant du ministère de l'Égalités entre les Femmes et les Hommes, un représentant de la police judiciaire et des représentants des deux services d'assistance aux victimes.

d) Travaux au niveau du Benelux

La thématique de "lutte contre l'exploitation des enfants" a été approfondie au niveau Benelux avec notamment l'organisation d'un séminaire sur ce sujet le 17 novembre 2017, ceci dans le cadre de la semaine de la sécurité. Ce séminaire s'inscrivait parfaitement dans les activités menées en matière de lutte contre la traite des êtres humains.

En 2018, sous présidence belge du Comité des Ministres Benelux, une attention particulière a été accordée aux implications du secteur médical. En effet, des professionnels du secteur médical peuvent être confrontés à des situations liées à la traite des êtres humains.

Dans ce cadre, une journée d'information et d'échange a été organisée au Secrétariat général, le 29 novembre 2018. L'objectif de cette manifestation était avant tout d'informer et de sensibiliser les acteurs du secteur médical, à la thématique de la traite des êtres humains.

En 2019, le Parlement Benelux, sous présidence luxembourgeoise, a également i retenu le thème de la traite des êtres humains comme une priorité de son programme de travail annuel. De ce fait, un débat thématique portant sur "la traite des êtres humains et les technologies innovantes pour lutter contre les trafiquants d'êtres humains", a été organisé lors de la séance plénière du 14 juin 2019.

Afin de répondre aux priorités fixées par la présidence luxembourgeoise en 2019,

"un objectif (…) sera poursuivi à travers la mise en œuvre de la déclaration d'intention contenant des actions et mesures envisagées en vue de renforcer la coopération en matière de traite des êtres humains qui fût signée le 2 décembre 2016." deux manifestations étaient à l'ordre du jour.

Une journée d'échange entre experts de la traite et de l'immigration s'est tenue le 1er octobre 2019, mettant l'accent sur la détection, l'identification et la prise en charge des victimes de la traite parmi les DPI. L'objectif était d'échanger entre professionnels du domaine de la traite et du domaine de l'immigration, de recueillir les témoignages respectifs. Les conclusions ont servi de base de discussion pour la conférence organisée à Luxembourg, le 10 décembre 2019, lors de laquelle les ministres de la Justice des trois pays du Benelux ont signé une déclaration d'intention.

e) Plan d'action national de lutte contre la traite

Le comité de suivi est en train d'élaborer son deuxième plan d'action national de lutte contre la traite.

Une concertation de tous les Ministères potentiellement concernés par le phénomène de traite permettra une action coordonnée et efficace pour lutter contre ce fléau.