Interview de Félix Braz avec le Jeudi

"Mon ambition est de voir augmenter le nombre d'électeurs"

Interview: Le Jeudi (Michel Petit)

Le Jeudi: Après le référendum, votre texte sur la nationalité était attendu pour le mois de juillet. Le projet est-il prêt?

Félix Braz: Il est pratiquement prêt. Mais il ne reste plus que deux conseils de gouvernement pour le déposer. Ce sera un peu juste. Je le déposerai vraisemblablement début septembre. Je le livrerai quand il sera bon. Car je veux un très large consensus, un texte qui soit le plus proche possible des réalités luxembourgeoises. Je souhaite un texte qui soit valable très longtemps alors qu'on en est à la 4e réforme en quinze ans. Il faut que la loi sur la nationalité sorte de l'enceinte politique.

Le Jeudi: Un consensus vraisemblable parce qu'il correspond à un texte ancien de François Biltgen (CSV) que, globalement, vous souteniez déjà à l'époque?

Félix Braz: "No comment". Peu importe la paternité du texte. À l'époque, j'avais senti qu'on avait déjà la possibilité d'arriver à un large consensus. Il est important d'avoir un débat serein sur cette question.

Le Jeudi: L'opposition soutient qu'une nouvelle loi serait passée bien plus facilement s'il n'y avait pas eu le référendum sur le droit de vote des étrangers. Finalement, considérez-vous le référendum comme un échec pour le gouvernement?

Félix Braz: Certainement pas. Il ne s'agit pas d'un vote contre le gouvernement. Que je me sois engagé pour le "oui" ne génère aucun malaise aujourd'hui. Le référendum a en tout cas permis de clarifier la situation. Les Luxembourgeois, qui demandent que nous respections leur vote, ont clairement dit que la question posée n'était pas la bonne voie. Qu'il fallait donc revoir la loi sur la nationalité. Cela devient la seule voie possible. Et cela devient une priorité, notamment pour réduire le déficit de démocratie. Mon ambition est de voir augmenter le nombre d'électeurs.

Le Jeudi: Votre texte réduit la durée de résidence (de sept à cinq ans) et l'exigence du niveau de langue pour obtenir la nationalité...

Félix Braz: J'en réserve la primeur au gouvernement. Nous serons en phase avec les suggestions du Conseil de l'Europe pour ce qui concerne les connaissances active et passive de la langue. Mon idée est aussi de rendre les critères plus flexibles, afin de donner une réponse au plus grand nombre, une réponse aux réalités de l'immigration. Tous les migrants ne sont pas identiques face à l'acquisition de la langue.

Le Jeudi: Les textes sur tout ce qui touche à la famille aboutiront prochainement. En quel sens?

Félix Braz: Ils sont pratiquement aboutis. Notamment sur le divorce, l'autorité parentale, la procréation médicalement assistée. Je tiens énormément à mettre en place un juge aux Affaires familiales qui remplacera toutes les juridictions s'occupant de ces questions. Ce sera un gain de temps, de visibilité. Ce juge unique apportera plus de cohérence, réduira les actuelles procédures longues et compliquées. La loi sur la protection de la jeunesse intégrera davantage le fait que des jeunes auteurs de méfaits soient généralement en détresse et doivent être assistés. La réforme du divorce doit absolument aboutir. Le texte abolira la faute, sauf dans des cas très graves, comme les violences. Pour plus de clarté, il précisera une liste exhaustive des faits graves.

Le Jeudi: Le droit de la famille entre-t-il dans les priorités de la Présidence luxembourgeoise?

Félix Braz: J'en ai parlé lors du Conseil informel. Les ministres ont mené un débat sur la révision d'un règlement sur la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale. Pour ce qui touche au droit de la famille, la coopération judiciaire est capitale. Ceci de plus en plus, notamment au Luxembourg où les couples binationaux sont bien plus nombreux qu'ailleurs. Dans ces cas-là, le règlement du divorce et de la garde des enfants est très délicat.

Le Jeudi: Enfin un Conseil national de la magistrature?

Félix Braz: II s'agira plus précisément du Conseil national de la Justice. Il sera intégré dans la Constitution lorsque celle-ci sera révisée. Nous réfléchissons encore à ses attributions au niveau des affaires disciplinaires, de l'avancement des magistrats, de la promotion de la Justice et de son image. Pour davantage d'efficacité, je n'en ferai pas un club trop grand, regroupant trop de membres.

Le Jeudi: Reste, au plan de la Justice, la loi sur la gestation pour autrui. La GPA sera-t-elle autorisée?

Félix Braz: Elle sera en principe interdite. Nous considérons que la GPA n'est pas un gain pour la société. Quel est vraiment l'intérêt de la GPA pour la société? Nous ne voulons pas l'encourager par une loi qui l'autoriserait. Nous n'admettons pas la mercantilisation du corps de la femme, que des gens se paient le ventre d'une femme qui a besoin d'argent. Cela dit, des pays acceptent effectivement la GPA dans la mesure où l'acte est gratuit.

Le Jeudi: Ceux qui recourent à la GPA, aux États-Unis par exemple, parlent d'indemniser les mères porteuses qui, par ailleurs, disposent aussi de revenus professionnels...

Félix Braz: Cette version de l'indemnisation représente une exception. C'est un peu la version "light" de la GPA. C'est vrai que la technique médicale existe, qu'il y a désir d'avoir des enfants, que l'argent est souvent là. Et que des Luxembourgeois continueront à y recourir.

Le Jeudi: Que faire alors des enfants?

Félix Braz: La loi doit apporter une réponse claire aux enfants. Les enfants ne peuvent être punis par la situation, par les conséquences de la GPA.

Le Jeudi: Selon des sondages, les Verts semblent être les seuls, parmi les partenaires gouvernementaux, à tirer leur épingle du jeu. Votre sentiment?

Félix Braz: Certes, le sondage est à prendre au sérieux. Mais il ne prédit en rien l'avenir. Nous savons que le gouvernement a pris des décisions impopulaires pour la stabilisation du budget de l'État. Par exemple, la hausse de la TVA, la modification du congé parental, celle des transferts en faveur des familles, sans que, d'ailleurs, celles-ci y perdent. Ces mesures vont dans le sens de la modernisation indispensable du pays. L'État est davantage en phase avec la société. Les Verts agissent en tant que partenaires de la coalition.

Le Jeudi: La forte croissance du PIB va-t-elle modifier votre politique?

Félix Braz: Cette nouvelle forte croissance n'est pas le fruit du hasard. Nos opposants doivent avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître qu'elle est aussi la conséquence de notre politique de stabilité. Le Luxembourg a très sensiblement amélioré sa compétitivité par rapport à ses partenaires. Nous avons réagi à une situation financière que nos prédécesseurs n'ont pas anticipée. Je pense à la perte annoncée des revenus de la TVA sur le commerce électronique, soit une baisse des recettes fiscales de plus de 700 millions d'euros. Soit aussi de l'ordre de 6% des recettes de l'État. Il fallait prendre des mesures, sans creuser davantage la dette dont hériteront nos enfants. Nous restons sur cette voie d'un endettement inférieur à 30% du PIB. Notre nouvelle croissance donnera une plus grande marge de manoeuvre. Pour autant, nous ne ferons pas l'économie de réformes, comme celle qui interviendra sur la fiscalité. En dépit des mesures d'économie que nous avons prises; nous avons maintenu l'investissement. C'est pour cela aussi que la reprise est si forte.

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