6e Journée des Juristes européens à Luxembourg

Le ministère de la Justice et le ministère des Finances du Grand-Duché de Luxembourg ont organisé, en collaboration avec le Barreau de Luxembourg et l’Université du Luxembourg, la 6e Journée des juristes européens qui a eu lieu du 19 au 21 mai 2011 au Centre de conférences à Luxembourg/Kirchberg.

Cette conférence a abordé trois sujets principaux en séances parallèles, à savoir:

  1. Régulation financière: le droit européen mis à l’épreuve,
  2. Les droits fondamentaux,
  3. Droit de l’information dans un contexte transfrontalier et européen.

Jean-Claude Juncker: "La vocation européenne du Grand-Duché est le fruit et la somme des conséquences de l’histoire du pays et du continent"

Le Premier ministre et président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, est intervenu le 19 mai lors de la session inaugurale, tout comme le président de la Cour de Justice de l’Union européenne, Vassilios Skouris, et la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, Viviane Reding.

Profitant de la tenue de la conférence à la place de l’Europe à Luxembourg/Kirchberg, Jean-Claude Juncker a tout d’abord noté dans son discours d’ouverture que la conférence a lieu à 300 mètres de la maison où naquit Robert Schuman, à quelques centaines de mètres de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), à un endroit où cohabitent des institutions politiques et culturelles – ce qui le fit penser au Leitmotiv de Jean Monnet selon lequel "L’Europe se fera par la culture, ou ne se fera pas" –, et à un endroit en Europe où pendant des siècles les armées se sont affrontées. "La vocation européenne du Grand-Duché est le fruit et la somme des conséquences de l’histoire du pays et du continent", a-t-il ajouté.

Citant la création du Benelux et la présence du Luxembourg parmi les pays fondateurs des Nations Unies, de l’OTAN et de la CECA, le Premier ministre luxembourgeois a dit que "notre pays a fait le choix délibéré pendant et après les hostiliés de la Deuxième Guerre mondiale d’embrasser ce qui déjà apparut comme pouvant être le nouvel espace européen et l’ensemble des nouvelles règles qui devaient régir la vie internationale".

Dès lors, "l’Europe fait partie de notre raison d’État. Nous savons que l’État-nation, dans sa conception ancienne, n’a plus d’avenir devant lui. Nous pensons que les États européens doivent coopérer d’une façon intégrée et que l’intégration européenne mériterait d’être approfondie davantage", a-t-il signalé. "Ainsi le droit européen constitue pour nous un ensemble de règles auxquels nous tenons beaucoup et la Communauté européenne est avant tout une communauté de droit", a expliqué Jean-Claude Juncker avant de citer la CJCE parmi les grands artisans du projet communautaire, qui constitue une des forces motrices de l’intégration européenne.

"La clarté du droit européen gagnerait beaucoup en qualité si les architectes du droit communautaire n’étaient pas les gouvernement et le Parlement", a estimé Jean-Claude Juncker à ce sujet. Selon ses propos, les textes européens sont très faibles: "Nous faisons d’abord des compromis dans nos propres pays, puis avec les autres membres du Conseil, et finalement avec le Parlement européen lorsque nous sommes en codécision. S’y ajoute l’influence de la Commission." D’après le Premier ministre Juncker, ce processus décisionnel fait que le droit européen a de nombreuses sources, ce qui "nous conduit vers des textes qui donnent un océan d’interprétations à la CJCE. La CJCE est forte parce que le monde politique est faible".

Se prononçant sur quelques uns des thèmes abordés lors de la conférence, Jean-Claude Juncker a dit que la régulation financière revêt une importance capitale après les déboires de la crise économique et financière. "Ceux qui pensent que les seuls marchés peuvent régler les problèmes économiques et sociaux ont du abandonner cette thèse", a-t-il estimé. Et d’ajouter: "Depuis que je suis au gouvernement, j’ai cherché cette main invisible du marché, qu’on nous avait tant promise. Aujourd’hui j’ai la preuve qu’elle n’existe pas". Selon le président de l’Eurogroupe, il faut donc rétablir la norme juridique et "accepter l’idée que le raisonnement qui voulait que les gouvernements ne s’occupent pas de l’économie et des marchés soit arrivé à son terme, et qu’il y a une place pour l’efficacité du marché et la griffe normative des pouvoirs publics".

Pour ce qui est du sujet des droits fondamentaux, Jean-Claude Juncker a réitéré sa conviction que l’Union européenne devrait adhérer à la Déclaration européenne des droits de l’Homme. "Les deux cours, celle de Strasbourg et celle de Luxembourg, sont les meilleures garanties pour qu’un droit parfait sera dit à ce sujet sur le continent européen".

François Biltgen a relevé les défis qui se posent au législateur relatif à la mondialisation de l’offre en ligne et la protection des droits

Dans le cadre du sujet "Droit de l’information dans un contexte transfrontalier et européen", le ministre de la Justice, François Biltgen, a assisté à la séance consacrée au sujet "Accès ouvert à l’information et protection des droits légitimes: une quadrature du cercle?" et s’est exprimé en particulier sur le défi du législateur relatif à la mondialisation de l’offre en ligne et la protection des droits.

Dans son intervention, François Biltgen a relevé les défis qui se posent au législateur, dont le rôle est et a toujours été de faire coexister et respecter différents principes et droits fondamentaux, parfois contradictoires, parfois complémentaires, dans le monde en ligne. Parmi ces défis, le ministre a cité

  • la recherche de l’équilibre entre le droit à l’information et le droit à la vie privée;
  • l’articulation du droit de propriété avec le droit d’accès à l’offre, l’idée du marché intérieur et le droit au respect de la vie privée;
  • le droit de protection du consommateur.

Luc Frieden: "Malgré les problèmes que l’Europe traverse à l’heure actuelle, il n’est pas correct de dire que l’euro n’est pas un succès"

Le 20 mai, le ministre des Finances, Luc Frieden, a participé à la séance "Gestion de crise et stabilité financière" dans le cadre du sujet "Régulation financière: le droit européen mis à l’épreuve".

Lors de son intervention, Luc Frieden a souligné que la monnaie unique européenne se trouve à la croisée de trois disciplines: le droit, l’économie et la politique.

En jetant son regard sur l’histoire de l’intégration européenne, le ministre a tout d’abord relevé que l’Europe a été conçue dés ses origines comme un projet politique, "un instrument garantissant la paix et de la prospérité". "Il s’agissait non seulement d’assurer la paix sur le continent, mais également de poser les jalons d’un marché unique au sein duquel les biens, les services et les personnes peuvent circuler librement", a-t-il tenu à préciser. Pour lui, ce moment de l’histoire qui nécessitait la mise en place d’instruments "pour permettre aux biens, services et personnes de circuler librement " a marqué le passage de la politique vers l’économique.

Dans son analyse, l’espace Schengen et l’euro apparaissent "comme les symboles les plus clairs de ce que l’euro peut apporter au quotidien".

Pour montrer que l’euro ne concerne pas uniquement la politique, Luc Frieden a rappelé que les différentes étapes de l’intégration monétaire, du plan Werner dans les années 1970 à l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1999, ont été marquées par l’instauration de règles qui ont été rendues nécessaire par la spécificité du projet européen. "Vu qu’il n’y avait pas d’autorité politique centrale, l’Europe a dû se doter de règles strictes", a expliqué Luc Frieden en rappelant que "c’était pour la première fois dans l’histoire qu’un nombre aussi important d’États membres ont adhéré volontairement à un projet technique et politique".

Pour Luc Frieden, le véritable problème est cependant apparu dans les années 2002 à 2004, époque pendant laquelle différents États membres n’ont plus réussi à respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance.

Pour assurer la stabilité dans la zone euro, Luc Frieden a préconisé de mieux coordonner les politiques économiques. Tout en soulignant qu’il s’agit "d’une exigence souvent formulée mais très peu suivi par les États membres", il a expliqué que ces derniers affirment le plus souvent "qu’il s’agit d’une compétence relevant des États membres". Il a prôné le besoin de parvenir à un équilibre plus prononcé entre la coordination des compétences nationales et communautaires et de doter l’union économique d’une union politique.

Luc Frieden a identifié un dilemme des États membres, qui, trop attachés aux prérogatives nationales, "sont à la recherche d’une stabilité monétaire sans vouloir se doter des instruments pour l’assurer". Il a mis en exergue l’interdépendance accrue entre les États membres en expliquant "que les gouvernements ne peuvent pas faire croire à leurs citoyens que le problème financier de la Grèce est un problème grec et non pas un problème européen". D’où le besoin pour assurer la stabilité dans la zone euro, de suivre une culture de la stabilité budgétaire, de respecter les règles de surveillance et des conditions plus strictes.

"Malgré les problèmes que l’Europe traverse à l’heure actuelle, il n’est pas correct de dire que l’euro n’est pas un succès", a ajouté Luc Frieden qui a passé en revue les nombreux avantages de l’euro, monnaie unique européenne qui "a permis de cantonner l’inflation, de réduire les coûts des transactions financières et de comparer les prix des biens et services".

"On a des problèmes à résoudre et on doit s’attacher à les résoudre", a déclaré le ministre des Finances en ajoutant qu’" il n’y a pas d’alternative".

Luc Frieden a enfin mis en exergue le rôle des gouvernements qui ont joué un rôle important dans la résolution de la crise financière mondiale. "Je ne dis pas que la politique peut tout faire", a t-il remarqué avant de conclure "qu’il faut ne faut pas non plus penser que le marché peut tout décider et qu’il importe donc de trouver un juste équilibre entre les deux".

Le ministre de la Justice, François Biltgen, est intervenu par ailleurs lors de la session de clôture, le 21 mai 2011.

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