"Il faut accorder à tous le droit d'être parent". François Biltgen revient sur les sujets d'actualité au ministère de la Justice

Geneviève Montaigu: Le mariage homosexuel divise nos voisins français et le débat fait rage. Pas au Grand-Duché qui s'apprête à voter la loi cette année. Le ministre de la Justice, ancien président du parti chrétien-social, l'a rédigée il y a deux ans. Les choses se sont-elles passées si simplement?

François Biltgen: Dans le programme fondamental du parti, qui a dix ans maintenant, j'avais moi-même participé à ce thème. Alors bien entendu, pour nous, le mariage reste le fondement de la famille, mais si dans des relations, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles, on retrouve nos valeurs d'assistance, de solidarité et de responsabilité, nous devons donner une protection juridique à tous les couples.

Geneviève Montaigu: Le PACS devait régler cette question de protection juridique, cela ne suffisait-il pas?

François Biltgen: Oui, c'est vrai, il y a déjà le PACS. J'ai cependant toujours été partisan du mariage homosexuel et je peux dire ouvertement que je n'étais pas un partisan du PACS, parce que je ne voyais pas la nécessité d'un mariage "bis". Mais jusqu'ici, sa raison d'être était surtout de permettre aux couples homosexuels d'avoir cette protection juridique. Depuis 1998, je milite au sein de mon parti en faveur du mariage homosexuel. J'ai des problèmes à m'opposer à un tel mariage dans le sens où cela ne fait de mal personne. En revanche, la question de l'adoption est plus sensible car il s'agit de savoir comment concilier le "droit à l'enfant" et "le droit de l'enfant". Dans le projet de loi que j'ai déposé en 2010 sur le mariage homosexuel, j'avais prévu l'adoption simple mais pas l'adoption plénière. Ce que revendiquent en général les couples homosexuels, c'est le droit d'être "parents", ainsi je fais une différence entre "parentalité" et "paternité et maternité". La "parentalité" peut être conférée avec l'adoption simple, car les relations avec les parents biologiques sont maintenues. Je continue à m'opposer à l'adoption plénière, dans la mesure où j'ai, même dans le cas de couples hétérosexuels, des problèmes à remplacer des parents biologiques par des parents juridiques, ceci pour des raisons élémentaires de droits naturels. Le droit peut organiser la société, mais on ne peut pas remplacer la nature. Et ensuite il y a la Convention des droits de l'enfant qui dicte que chaque enfant a le droit de connaître ses origines et je pense que chaque enfant, un jour ou l'autre, a envie de connaître ses origines. On pourrait régler une grande partie du débat en accordant avec l'adoption simple aux couples homosexuels ce qu'ils revendiquent: être parents. Et ne pas aller plus loin.

Geneviève Montaigu: Le Conseil d'État rend deux avis, un majoritaire et un minoritaire...

François Biltgen: Les deux se recoupent sur un point. Les conseillers estiment que l'on ne peut pas débattre du mariage homosexuel sans y inclure la question de l'adoption. Je crois qu'ils ont raison. L'idée de la commission parlementaire était de séparer les sujets, mais le Conseil d'Etat a clairement indique que si on accordait le mariage, on accordait également l'adoption simple et plénière. Je pense que le projet de loi est bon et il est toujours soutenu par le gouvernement qui en a discuté encore récemment. Il reste encore une seule véritable discrimination entre adoption simple et adoption plénière qui se situe au niveau du droit à la succession. Je n'en ai pas parlé dans le projet de loi parce que je ne suis pas ministre des Finances. Mais si tel est le problème, je pense qu'on pourrait attaquer le volet fiscal. Mais je suis sûr qu'il y aura des gens pour dire qu'avec l'adoption simple on va déjà trop loin, d'autres qui estimeront au contraire que le texte ne va pas assez loin. Je peux toutefois m'imaginer que le projet gouvernemental trouve une large majorité à la Chambre des députés. Il nous manquera cependant encore l'avis du Conseil d'Etat sur l'adoption.

Geneviève Montaigu: La loi sur la réforme de l'avortement a gêné l'opposition qui reprochait au texte sa trop grande timidité avec l'obligation d'une seconde consultation pour la femme désireuse d'interrompre sa grossesse. D'aucuns ont pointé la faiblesse du parti socialiste face au tout-puissant CSV, qu'en pensez-vous?

François Biltgen: Je trouve qu'au Luxembourg, on n'élève que très rarement le débat et le problème s'est également posé avec la loi sur l'euthanasie. Un certain nombre de partis ont surtout en tête de marginaliser le CSV qui, pourtant, sur tous ces sujets, se montre très ouvert et ils mettent surtout la pression sur le parti socialiste. Cela m'a gêné d'entendre la porte-parole des verts déclarer à la tribune de la Chambre que la religion n'avait rien à faire au Parlement et que donc on ne pouvait s'opposer à l'avortement. Je connais cependant plein d'athéistes qui sont contre l'avortement pour des raisons autres que la religion. Pour cette loi, j'avais déposé un projet corédigé avec Alex Bodry (nous étions tous les deux présidents de parti à l'époque) qui, lui, par la suite, a subi des pressions au sein de son parti. Ce qui m'a convaincu de ne plus croire en l'accord de coalition "a priori" comme moyen de résoudre les questions. Je poursuis en revanche la méthode des débats et des idées que je lance moi-même.

Geneviève Montaigu: Pour changer complètement de sujet, vous avez publié la semaine dernière un communiqué relatif aux armes à feu en circulation au Luxembourg. Désirez-vous modifier la loi actuellement en vigueur?

François Biltgen: Mon sujet est le suivant. Cela fait 30 ans que je fais de la politique et j’en ai assez de devoir engager dans l'urgence un débat suite à un fait divers. Alors, au lieu d'attendre un drame pour entendre ensuite que le ministère de la Justice n'a jamais rien fait, je lance un débat. Je n'ai fait aucune proposition; j'ai demandé que l'on discute du problème des armes à feu au Luxembourg. Si on me dit que la loi est bonne et qu'elle n'a pas besoin d'être perfectionnée, j'en prendrai acte. Mais discutons de la loi avant qu'un drame ne survienne. Ce qui m'a gêné dans la loi sur l'euthanasie comme celle sur l'avortement, c'est que le débat a souvent tourné autour de l'exception. On règle l'exception alors que, je le dis en tant que juriste, une loi ne peut que régler la norme. La loi doit être rédigée de telle façon qu'un juge, en dernier lieu, puisse trouver des solutions viables pour l'exception. On ne peut pas régler tous les cas de la vie.

Geneviève Montaigu: Vous venez de déposer un projet de loi introduisant la transaction pénale, autrement dit le "plaider coupable", un sujet qui n'a pas fait débat...

François Biltgen: Personne ne s'y attendait, j'ai pris tout le monde de court. J'ai cependant eu une bonne discussion à la commission juridique. La transaction pénale servira surtout pour les faits de circulation. Prenez un délit de grande vitesse, on entend à l'audience le policier qui a verbalisé, le parquet dans ses réquisitions et surtout l'avocat de la défense qui pendant une demi-heure va plaider les circonstances atténuantes pour son client. En général, le prévenu avoue en jurant que c'est la première et la dernière fois qu'on l'y prendra, mais l'avocat insiste longuement sur le fait que son client a absolument besoin de conserver son permis de conduire pour les trajets professionnels, etc. Toute cette affaire prend une heure à l'audience, consacrée finalement à discuter des seules modalités de l'interdiction de conduire. La transaction pénale permettra aux parties de s'accorder sur la peine principale et accessoire et sera entérinée (ou non) à l'audience. Et ensuite, la transaction pénale servira également dans des affaires de viols et d’abus sexuels. Pour la victime, il suffira de recueillir une fois son témoignage et ne pas lui infliger un passage en audience publique.

Geneviève Montaigu: Pour raccourcir les délais, certains pays comme la France ont introduit la comparution immédiate, y êtes-vous favorable?

François Biltgen: La comparution immédiate est à mon avis une "fausse bonne solution". Il faut toujours respecter les droits de la défense et pour la comparution immédiate, j'ai des réticences. Ce n'est pas une de mes priorités même si je suis ouvert à toutes les idées pour raccourcir les délais.

Geneviève Montaigu: Vous désirez diminuer les frais de l'assistance judiciaire, ce que les Barreaux voient d'un mauvais œil puisqu'ils craignent une diminution des tarifs de l'assistance judiciaire. Une crainte fondée?

François Biltgen: Le budget des frais d'avocats était de plus de sept millions d'euros l'an dernier, ce qui a fait exploser le budget afférent présenté à la Chambre. Nous devons nous poser des questions fondamentales, et j'essaye d'avoir un discours ordonne avec les Barreaux, mais je constate une fin de non-recevoir de la part de nombreux avocats. Alors j'ai décidé de faire moi-même des propositions en février prochain pour changer la loi. Pour le moment, la loi déresponsabilise le justiciable et l'avocat. Même si la victime remporte le procès et reçoit une indemnisation, elle n'a pas besoin de rembourser son avocat, l’Etat est tiers-payant. Celui qui se situe juste au-dessus du seuil de l’assistance judiciaire n'y aura pas accès, mais celui qui est juste en dessous y aura accès. On élimine des gens du bénéfice de l'assistance judiciaire parce qu'ils ont peut-être une maison, mais ça ne fait pas d'eux des gens plus riches que ceux qui n'en ont pas. Et l'avocat, lui, n'a aucune responsabilité car il accepte même des procès perdus d'avance. On travaille donc sur un certain nombre de propositions, mais il est encore trop tôt pour les annoncer, j’y reviendrai dans un mois. Ce que je peux dire, c'est que nous travaillons sur un système plus équitable.

Geneviève Montaigu: Quels sont les dossiers sur lesquels vous travaillez encore actuellement?

François Biltgen: Je présenterai au public le projet de loi sur les faillites jeudi prochain. Je vais également présenter au gouvernement les réformes instituant le Conseil national de la justice et la Cour suprême, avant les vacances de février. Je veux avancer vite car pour introduire ces deux instances il faut modifier la Constitution.

Geneviève Montaigu: Quid de la réforme du code pénal?

François Biltgen: Un groupe de travail planche dessus. Pour l'instant, je travaille surtout sur le code d'instruction criminelle qui sera rebaptisé "code de procédure pénale" parce que c'est plus réaliste. Actuellement, à la commission juridique, il y a 29 projets de loi en cours dont 13 déposés encore par Luc Frieden et 16 par moi. Depuis mon entrée en fonction, 38 lois ont été adoptées dont 14 de Luc Frieden et 24 de moi. Je peux vous dire que la machine tourne et à chaque jour suffit sa peine. Mes grands desseins étaient de réformer le droit de la famille, l'organisation judiciaire, le système carcéral et le droit de la faillite. Leurs grandes lignes seront sous peu toutes là.

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