Interview avec Sam Tanson dans Paperjam 100 Lawyers

"Je fais de la politique pour faire bouger les choses"

Interview : Paperjam 100 Lawyers (Nathalie Reuter)

Paperjam 100 Lawyers : L'accès et la formation des professions d'avocat à la Cour, des notaires et des huissiers de justice vont être réformés. Pourquoi avez-vous aboli l'examen de fin de stage, notamment pour les avocats?

Sam Tanson : Nous discutons, depuis très longtemps, de la révision en profondeur du cursus de formation des avocats et des professions juridiques luxembourgeoises, qui tous détiennent un diplôme de droit de niveau universitaire. Certaines professions spécifiques exigent cependant une connaissance plus approfondie du droit luxembourgeois. Le système du cours complémentaire de droit national n'a donc pas été remis en question. L'idée d'une véritable école est toujours d'actualité. Il s'agit ici d'une première étape dans cette direction avec un examen d'entrée pour accéder à ce cours complémentaire, pour que nous soyons certains que les candidats qui se manifestent veulent suivre cette formation dans le but de devenir avocat, notaire, huissier ou magistrat. Année après année, le nombre d'inscrits augmente considérablement, sans que tous suivent forcément les cours ou se présentent aux examens. Un examen d'entrée permettra d'alléger l'examen final. On propose, dès lors, de remplacer le fameux "examen d'avoué", qui nécessite un grand investissement en temps des avocats stagiaires, par un contrôle continu lors de la procédure de stage.

Paperjam 100 Lawyers : Le stage des notaires et des huissiers de justice a été allongé de 12 mois à 18 mois...

Sam Tanson : Cela s'est fait en concertation avec les professions concernées, la Chambre des notaires et la Chambre des huissiers, qui étaient demandeuses d'avoir une plus forte spécialisation pour ces matières qui deviennent aussi de plus en plus techniques. Il y a également de plus en plus de règles européennes qui s'appliquent. Nous avons donc simplement suivi la volonté desdites Chambres.

Paperjam 100 Lawyers : Les autorités judiciaires sont confrontées à un problème de recrutement dans la magistrature. Le projet de loi sur la création du poste de "référendaire de justice" vise d'ailleurs à décharger les magistrats de certaines tâches. Cela a soulevé la colère de la CGFP, car la fonction sera ouverte aux ressortissants des pays de l'Union européenne. Comment sortir de cette impasse?

Sam Tanson : Ces dernières années, nous avons continué à recruter. 25 postes étaient ouverts par an, mais ils n'ont pas pu être tous occupés, faute de candidats. Il faut néanmoins préciser que, en comparaison avec la décennie précédente, les recrutements ont été globalement plus importants.

Mais la question de l'attractivité de la fonction de magistrat se pose, raison pour laquelle nous avons commandé un rapport à Jean-Claude Wiwinius (le président honoraire de la Cour supérieure de justice, ndlr) qui doit nous aider à dégager des pistes pour améliorer l'intérêt pour les postes ouverts au recrutement. On assiste à une spécialisation de plus en plus forte dans les cabinets d'avocats. Les magistrats ont également besoin de spécialistes pour les assister dans des domaines très pointus. La fonction de référendaire existe dans beaucoup de juridictions internationales et aussi au sein de la magistrature luxembourgeoise. Ce n'est donc pas une fonction nouvellement créée. Les conditions pour y accéder ne sont pas les mêmes que pour devenir magistrat. Évidemment, si l'on ne trouve pas de candidats maîtrisant les trois langues nationales, des exceptions pourront être accordées. Soyons clairs: aucun pouvoir décisionnel ne peut être délégué aux référendaires de justice, qui ont exclusivement une mission d'assistance des magistrats dans la préparation de leurs dossiers. Mais je ne vous cache pas que j'espère que certains des référendaires réfléchiront à vouloir accéder également à la fonction de magistrat. Et là, les conditions sont claires: il faut disposer de la nationalité luxembourgeoise.

Paperjam 100 Lawyers : Lors de l'élaboration du projet de nouvelle Constitution, il y a eu beaucoup de discussions sur la séparation des pouvoirs. Le procureur général d'État, Martine Solovieff, disait qu'on ne pourrait pas parler de séparation des pouvoirs si le cordon entre le procureur général et le ministère de la Justice n'était pas coupé. Est-ce le cas?

Sam Tanson : Oui, on a trouvé un bon compromis, et je me suis battue pour y arriver! Je suis satisfaite du résultat. Il était primordial que l'indépendance du juge soit consacrée dans la Constitution et que celle du Parquet le soit aussi dans l'exercice des recherches et poursuites individuelles, avec la seule nuance que le gouvernement puisse prendre des directives de politique générale, c'est-à-dire mettre l'accent sur ce qui, d'un point de vue politique, importe au gouvernement. Je vous donne un exemple théorique. Si nous constatons des problèmes de violence domestique, ou de criminalité à la Gare, il faut que nous puissions mettre l'accent là-dessus. C'est quelque chose de très général, qui existe aussi dans d'autres pays, comme en Belgique.

La possibilité actuellement donnée au ministre dans les textes d'intervenir dans le cadre d'une poursuite individuelle, même si elle n'est plus utilisée en pratique depuis longtemps, sera formellement supprimée. C'est très important pour éviter ce que nous pouvons constater dans certains pays qui, agissant de manière arbitraire, prennent des décisions incompatibles avec les droits fondamentaux, où le politique et le pénal sont trop entremêlés et où des poursuites pénales sont engagées pour des motivations politiques. Je voulais absolument l'éviter, et ce pour deux raisons. D'abord, il est malsain que la politique utilise l'arme pénale pour combattre ses opposants. Ensuite, même avant d'en arriver là, si cette indépendance n'est pas consacrée, il risque toujours d'y avoir un doute, aussi bien du côté de la magistrature que du côté politique, quant à une possible ingérence. Or, si la Constitution est limpide, cette ingérence ne peut pas exister.

Paperjam 100 Lawyers : Pour assurer l'indépendance de la justice, un Conseil national de la justice sera créé. Quelle sera sa future composition?

Sam Tanson : Nous en avons discuté longuement. Il y aura, bien entendu, des représentants de la magistrature, de la société civile ainsi que des Barreaux. Nous nous sommes aussi adressés à la commission de Venise suite à l'intervention de la Commission européenne, pour savoir si, parmi les magistrats qui constituent la majorité des membres du Conseil national de justice, il peut y avoir une égalité de membres désignés d'office, parallèlement aux membres élus. L'option finalement retenue dans la dernière version des amendements parlementaires est celle d'une élection pure et simple des représentants de la magistrature. Ce projet est en bonne voie. Nous avons adopté les amendements il y a quelques semaines au sein de la commission de la justice, et j'espère que nous aurons bientôt l'avis du Conseil d'État pour que la Chambre puisse procéder au deuxième vote de la Constitution, et donc aussi des lois de mise en oeuvre relative au Conseil national de la justice, au statut des magistrats et aux conflits d'attribution entre l'Ordre administratif et l'Ordre judiciaire.

Paperjam 100 Lawyers : Vous avez lancé les Assises du Code civil en 2021. Deux sessions ont déjà eu lieu. Quels sont les domaines du droit civil qui nécessitent le plus de faire l'objet de réformes?

Sam Tanson : Avant de discuter du contenu, nous avons commencé à nous poser la question de la méthodologie. La Belgique et la France, pays desquels notre droit civil dépend traditionnellement, ont déjà entamé un processus de refonte.

La majorité des intervenants des Assises étaient d'avis que le Code civil devait être réformé en profondeur pour s'adapter à l'évolution de la société d'un côté, mais aussi pour ne pas perdre le lien avec les textes belges et français. En puisant dans la doctrine belge ou française, les juges et avocats peuvent se référer à une jurisprudence avec une masse critique un peu plus importante que celle limitée au Luxembourg. Nous venons de signer un accordcadre avec l'Université pour encadrer ce projet. La première étape, c'est la refonte du droit de prescription pour lequel les travaux commencent ce mois-ci, et qui est également prévue dans l'accord de coalition. Nous attendons un résultat d'ici la fin de l'année prochaine. La seconde concerne un domaine beaucoup plus vaste: celui du droit des obligations. Le projet avec l'Université s'étalera sur trois années. Nous avons fait ce choix de travailler par étapes. Tous ceux qui veulent participer à l'élaboration du nouveau Code civil peuvent y participer. Les différents groupes s'organiseront en fonction des personnes qui veulent donner leur input.

Paperjam 100 Lawyers : Le projet de loi sur les lanceurs d'alerte était sévèrement critiqué par le Conseil de l'Ordre dans un avis rédigé en août, parce que le texte proposé porterait atteinte au secret professionnel de l'avocat, au secret médical, ainsi qu'au secret de l'instance pénale. Pourquoi vouloir aller plus loin que ce que prévoit la directive européenne en la matière?

Sam Tanson : Nous allons plus loin au niveau du champ d'application. Étant donné la difficulté de trouver un consensus au niveau européen, la directive se limite strictement aux compétences européennes avec des annexes qui renvoient à ces matières spécifiques auxquelles le texte s'applique. Or, le gouvernement avait déjà, dans l'accord de coalition, fait le choix d'élargir le projet de loi des lanceurs d'alerte à toute la législation. Actuellement, nous avons déjà une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui protège les lanceurs d'alerte, peu importe la matière à la base de leur alerte. Les conditions de cette jurisprudence sont plus ou moins identiques aux conditions prévues par la directive. La différence étant que la directive détaille la procédure qui s'applique aux lanceurs d'alerte. Or, comme la directive ne s'applique qu'à un nombre limité de matières, elle est, à mon sens, source d'insécurité juridique, aussi bien pour les employeurs que pour les lanceurs d'alerte, étant donné que les concernés devront toujours se demander s'ils se situent dans la procédure prévue par la directive ou dans le cadre, plus général, de la jurisprudence de la Cour européenne. D'où notre choix de l'élargir à la législation nationale. Ensuite, en ce qui concerne la question de la confidentialité, ce n'était pas l'intention, en tout cas de ma part, de malmener le secret de l'avocat. Nous nous sommes inspirés de la loi française pour formuler cet article. Suite à l'avis du Conseil de l'Ordre, j'ai décidé de reformuler cet article dans le cadre des amendements que je déposerai après réception de l'avis du Conseil d'État, attendu depuis près d'un an.

Le secret professionnel de l'avocat est absolument nécessaire afin, notamment, de garantir à tout citoyen une défense pénale, dans le cadre de laquelle il peut librement parler avec son avocat. Pour éviter tout malentendu sur cette question, nous allons reformuler cet article aussi pour le secret médical.

Paperjam 100 Lawyers : Vous ne regrettez pas d'avoir repris le ministère de la Justice?

Sam Tanson : Tous les jours! [rire] J'étais un peu réticente à reprendre ce ministère. D'abord à cause des circonstances et de la situation personnelle de Felix Braz, mais aussi parce que j'ai exercé en tant qu'avocate pendant tellement longtemps et que mon partenaire est également avocat. Mais c'est une tâche formidable. On peut avoir vraiment un réel impact.

Et quand je vois tous les projets que j'ai déposés... et là, on n'a parlé que d'une partie infime. Je souhaite vraiment qu'on puisse les voter tous encore d'ici la fin de la session législative. Je fais de la politique pour faire bouger les choses. Beaucoup de choses peuvent être faites, améliorées, dans le sens de la protection des personnes les plus faibles et du respect des droits fondamentaux.

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